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Ceci est un carnet de bord, un journal de voyage, une odyssée fragmentaire qui compile intuitivement des documents, des notes, des réflexions, des images, des échanges et dans laquelle chacun puisse naviguer librement et chercher des pensées en mouvement.

31.10.2020 – L’ONDE // Cie Nacera Belaza

C’était jeudi soir à Marseille, la première de L’Onde, la nouvelle création de Nacera Belaza, dans laquelle dansent aussi Mélodie Lasselin, Magdalena Hylak, Beth Emmerson, Aurélie Berland, et qui avait été déjà reportée, et dont on savait qu’elle serait amputée le lendemain de la suite de ses représentations. C’était la première, enfin, dans cette salle du Théâtre Joliette dans laquelle il y avait eu le dernier spectacle de Claude Régy, et les fantômes, des temps passés comme des temps futurs, habitaient chaque instant. C’est dans le noir qu’ils surgissent, peu à peu, comme des résonances d’un chaos lointain, d’un impact, d’une catastrophe dont on ne mesure que peu à peu les conséquences. Cinq danseuses, quatre autour de Nacera Belaza, comme des échos, des résonances, des transports qui élargissent l’espace, ou, parfois, vident le temps. Pures présences, isolées mais pas délimitées, qui révèlent combien l’individu est partie d’un tout, à la fois identité et lieu de passage continu, de métamorphoses, d’images qui ne cessent jamais de reprendre leur chemin, combien le commun surgit aussi tout à coup entre deux coupures, entre deux silences, comme la révolte qu’il faut à la vie pour se débattre. On parle très difficilement en termes techniques, lumière, son, même si l’infini raffinement force l’admiration, tant il est impossible de ne pas penser l’ensemble de la représentation comme une matière cosmique qui se déploie sur une même ligne, creusant le sensible, l’innervant de rages, de batailles comme de tendresses. Il y avait dans cette première et dernière représentation en France (pour l’instant) ce que nous pouvions y mettre : un désir de plonger dans notre corps et ce qui nous lie aux autres, à l’expérience de vie que chacun traverse, jamais aussi proches, jamais aussi éloignés qu’en ces temps hachurés.

Maintenant, il y a ces papiers à remplir, et ce nomadisme. Des artistes qui peuvent se déplacer mais pas aller à la rencontre du public. La dureté de ce que l’on retrouve en rentrant chez soi, et les ravages sur la santé, les proches à enterrer. Rien qui n’aide plus à guérir, rien qui ne soit plus « le soin », que ces sensations de lumières qui lentement s’éteignent, de paroles qui se retirent progressivement des corps, avant de recevoir (et de rentrer dans) la scène, et ce qu’elle prépare pour nous, pour nous ensemble, depuis des mois, depuis des années, et pour ce qui concerne la recherche de Nacera Belaza, depuis une vie. La semaine prochaine, c’est le Théâtre de Vidy en Suisse qui servira de refuge à 50 spectateurs par représentation — les bienheureux.

// SEPTEMBRE 2020 //

[1] partir de l’impossibilité de la reconstitution [2] entretien [3] premières pluies sur la terrasse de la Moulinette [4] Stig Dagerman sur le toit du Phénix [5] rien [6] « s’en aller, s’en aller, Parole de Vivant » Saint-John Perse — et faire sauter l’électricité de l’appartement [7] « tenant en honneur l’inhonoré alors tu sauveras la terre » Oracle de Delphes [8] dans certaines universités on demande des tests aux enseignants à l’entrée [9] retour de l’être aimé [10] à la recherche du livre publié [11] première représentation de la saison à Paris [12] je ne pense pas qu’il y ait de la timidité (ou pudeur ?) mais il y a une forme de vérité [13] joyeux anniversaire président [14] aller jusqu’à se mettre à genoux [15] ampoules suspendues [16] massacrer l’hymne européen [17] s’interroger sur la possibilité de la réparation [18] le corps lâche [19] covid or not covid [20] pleurer quand elle s’en va [21] « ce qu’il y a de plus profond c’est la peau » Paul Valéry [22] les étudiants font la queue dehors sur des dizaines de mètres pour entrer dans la cafétéria [23] le hêtre est plus danois que le chêne [24] « lâcher peut être une certaine manière en creux de tenir » Myriam Suchet [25] qu’est-ce que cela changerait si plus personne n’écrivait [26] « refrayer la voie sur des traces que l’herbe envahit dans l’instant » Tsvetaïeva [27] j’ai dû me mettre aux jetables parce que je n’arrivais plus à respirer [28] retourner cinq ans en arrière [29] je fais partie des meubles même si ça fait longtemps que je suis sorti du placard [30] c’est quoi un budget prévisionnel

–24.09.20–

« C’est la même chose de n’être rien et d’habiter le monde » Merleau-Ponty

–13.09.20–

« Mais dans les Sept samouraïs, vous comprenez, ils sont pris dans la situation d’urgence, ils ont accepté de défendre le village, et d’un bout à l’autre, ils sont travaillés par une question plus profonde. Il y a une question plus profonde à travers tout ca. Et elle sera dite à la fin par le chef des samouraïs, quand ils s’en vont “ qu’est-ce qu’un samouraï ?“ Qu’est-ce qu’un samouraï, non pas en général, mais qu’est-ce qu’un samouraï à cette époque là. A savoir quelqu’un qui n’est plus bon à rien. Les seigneurs n’en n’ont plus besoin, et les paysans vont bientôt savoir se défendre tout seul. Et pendant tout le film, malgré l’urgence de la situation, les samouraïs sont hantés par cette question qui est digne de L’idiot, qui est une question d’idiot : nous autres samouraïs, qu’est-ce que nous sommes ? » Gilles Deleuze

–04.04.20–

« Nous vivons dans des ruines et avec des fantômes, des matières mortes, des matériaux vivants, des évènements violents dont nous ne savons plus s’ils ont eu lieu ou non, et, restons pascaliens : nous ne sommes pas au présent ; mais si le présent est un lieu, où sommes-nous alors, puisqu’il nous est impossible d’être partout comme d’être nulle part ? Nous sommes là où notre présence fait advenir le monde, nous sommes pleins d’allant et de simples projets, nous sommes vivants, nous campons sur les rives et parlons aux fantômes, et quelque chose dans l’air, les histoires qu’on raconte, nous rend tout à la fois modestes et invincibles. Car notre besoin d’installer quelque part sur la terre ce que l’on a rêvé ne connaît pas de fin. » Nous campons sur les rives, Mathieu Riboulet

–27.02.20–

« nous nous sommes rapidement extraits de la forteresse de ses remparts et des confettis qui jonchaient encore le sol au petit matin pour nous enfoncer à l’intérieur de l’île ; bus après bus laissant au large les touristes nous nous sommes mis à marcher en avant des falaises ; plein sud ; de ce sommet on percevait l’eau qui entoure l’île ; les églises ; et la pierre dorée partout ; l’espace surchargé ; les constructions qui s’entassent à perte de vue ; en face la Méditerranée ; faussement paisible ; tranquille ; douce et chaude à mesure que l’horizon nous emporte vers les côtes libyennes ; et là ; plus rien ; comme à Athènes ; après les antiquités ; les constructions héritées de l’Histoire ; et celles modernes récentes qui tentent de faire face de susciter le voyage (c’est comme cela que l’on devrait nommer le tourisme en lui arrachant son visage défiguré) ; puis les faubourgs surpeuplés divers anarchiques désynchronisés d’avec l’ordre ; alignant usines avec cimetières avec routes avec édifices centenaires ; comme à Athènes ; on sait qu’il y a autre chose qui existe dans ce pays et que l’on ne voit pas ; les centres fermés ; les centres ouverts ; logés au bout d’une ligne de bus inaccessibles ; à côté d’un parc d’attractions Playmobil ; par exemple ; Malte offre comme les pays Baltes la possibilité de contempler le monde occidental en train de se faire ; pas encore tout à fait optimisés ; en voie de rejoindre la force de frappe massive de l’économie néo-libérale à plein régime ; ici la culture est encore pleine des imprégnations successives des luttes des colonisations ; mais le marché arrive et se niche dans un lidl dans un izibet au coin d’une rue déserte dans la marque des voitures ; dans les avions aussi et les hélicoptères qui surveillent la mer ; à distance ; et protègent la meute de yachts endormis dans le port ; c’est aux frontières de l’Europe en tentant un pas de côté vers ce qui ne lui appartient pas que l’on mesure la hauteur de la palissade ; la tranchée ; le pont-levis (et ce ne sont pas des métaphores — il existe des frontières constituées de murs de barbelés de caméras infrarouges de tranchées remplies d’eau — on dirait le Moyen-Âge) ; La Valette étouffée par le bruit de son carnaval et par laquelle on entre par un pont au-dessus du vide et une porte armée de deux longues lances raconte cela ; le château-fort que devient l’Union Européenne ; secoué par les tremblements de la guerre (est-ce qu’à Malte on s’autorise le mot croisade ?) qu’il mène au loin ; et dont la violence lui parvient par effet de boomerang ; et nous ; pour combien de temps encore cadenassés dans des armures numériques et économiques ; figés par les images impossibles et l’action dérisoire ; depuis le hublot de l’avion la mer Méditerranée est une peau ridée qui ne bouge pas ; à peine tremblante ; une écorce d’orange bleue ; quelques navires des pétroliers comme des grains de beauté cancérigènes ; et la lueur du désert qui brûle l’air au loin ; nous avons croisé des visages de toutes les origines sur cette île étrange ; pas un seul millionnaire pas un seul milliardaire ; est-ce qu’il n’y a déjà plus personne dans le château de l’oubli ? »

–20.01.20–

« En tant qu’artiste, la connaissance ne m’intéresse tout simplement pas. Parce qu’il ne s’agit pas d’une maîtrise analytique d’un contexte thématique, mais d’une capacité instinctive. Au fond, je dois pour chaque projet me laisser pénétrer par des discours, des présences de personnages jusqu’à ce que je puisse aussi parler, comme un survivant de génocide, comme une personne d’extrême-droite, et ainsi de suite. » Milo Rau

–13.01.20–

–11.01.20–

« Je suis l’ennemi, je l’ai toujours été du spectacle représentation, de la petite machine démonstratrice qu’on tient dans un coin de sa poche de coeur et qu’on ressort toujours la même pour un certain nombre de fois devant un certain nombre de spectateurs. C’est une façon de voir le théâtre qui vaut pour les sociétés en arrêt, qui ont fixé une bonne fois leur croissance et puis ça va mais ça me paraît pas du tout être l’ordre des choses ou de la vie, ce n’est pas mon ordre à moi. Un acte de théâtre est un acte. » Antonin Artaud

–20.12.19–

« Et l’émancipation, hier comme aujourd’hui, est une manière de vivre dans le monde de l’ennemi dans la position ambiguë de celui ou celle qui combat l’ordre dominant, mais est aussi capable d’y construire des lieux à part où il échappe à sa loi. » Jacques Rancière

–09.12.19–

« Les beaux livres sont écrits dans une sorte de langue étrangère. Sous chaque mot chacun de nous met son sens ou du moins son image qui est souvent un contresens. Mais dans les beaux livres, tous les contresens qu’on fait sont beaux. » Marcel Proust

–02.12.19–

Je fais ces derniers temps d’un certain désir de retrait de la position de spectateur la possibilité d’entrer complètement dans les rares propositions que je choisis très attentivement de voir. En retrouvant l’oeuvre de Lenio Kaklea (son nouveau spectacle Encyclopédie pratique / Détours), je reprends le chemin là où je l’avais laissé ; une intense fascination pour sa capacité à incarner et désincarner le réel ; la capacité immense à tirer de l’abstraction une force poétique brutale ; une imagination au travail dans la salle qui tisse entre chaque scène une dramaturgie intime. Lenio Kaklea, par la collection de pratiques quotidiennes auprès d’individus d’horizons et de nationalités différentes, refuse la scène documentaire et lui impose en retour une scène politique. Elle retourne les formes imitées et leur fourre dans le corps des chairs brutes, des respirations, du sang, des rires, de la rage. Il y a dans ce spectacle précisément une colère qui en dit long sur ce que le réel inflige au rêve, au désir, et à la puissance d’être. En découvrant Bajazet – En considérant le théâtre et la peste de Frank Castorf, je me perds dans un abîme trouble : l’écart entre l’attaque sauvage et en règle qu’Artaud mène contre la langue et le déploiement insensé et souverain du langage de la scène dans lequel excellent et Racine et Castorf. Ici il faut oublier (comme chaque fois qu’on le lit) ce que l’on connaît des mots d’Antonin Artaud, pour pouvoir se prendre la claque démentielle que représente l’apparition de ses textes, de ses lettres, de sa voix même. Il faut oublier aussi ce que l’on sait de l’acteur (et surtout ici de l’actrice) pour recevoir l’arme à la main les déflagrations métaphysiques que les corps, disparus, épinglés dans l’image, brûlants comme des suppliciés sur la scène, osent.

–21.11.19–
Nous étions quelques privilégiés un dimanche d’automne à assister à une rencontre improvisée entre Juliette Adam (clarinettes), Quentin Conrate (batterie incomplète) et Lucien Rapilly (électronique) à la Maison Intergénérationnelle de Loisirs Artistiques et Culturels. Tout proche d’eux, assis parfois sur le sol, il y avait dans la demi-heure de concert proposée la possibilité d’un véritable partage à l’écoute. Ici aucune partition, et pour cause, la première chose que les musiciens font, c’est écouter. S’écouter l’un l’autre, écouter le son, le vide, l’espace et composer avec le présent, avec la présence, quelque chose qui, c’est certain, ne pourra jamais se reproduire. Privilégiés aussi de regarder les corps à l’oeuvre, car ici il n’est pas question d’utiliser son instrument mais de lui donner vie, de le désorganiser pour lui rendre sa force, de souffler, de frotter, d’amplifier pour ce que le son peut prendre de formes et d’énergie. Quelque chose de troublant, d’érotique se dégage peu à peu des imaginaires partagés. Chacun maîtrise une certaine idée de l’abandon qui transporte et sur laquelle des images folles, libres, peuvent danser. Que l’on se rassure, rien n’a été enregistré.

–12.10.19–
La voix d’abord, le texte, ainsi s’ouvre le premier album de Yolande Bashing, sorti hier. Les mots d’une petite fille peut-être, celle que Baptiste semble porter en lui et qu’il promène ensuite, côte à côte, le long de dix morceaux. Mélancolique, l’album l’est, de premier abord, avant de sentir, de découvrir la rage, le rêve, le désir, l’amour. C’est le nom de l’album : Yolande et l’amour. La musique, le chant, tout s’interroge sur ce « et », sur cette distance dont Baptiste Legros joue constamment, plongeant dans le sentiment pour le tenir ensuite éloigné, retenu, à l’instar de ses concerts, où l’interprète, venu du théâtre, descend dans la salle et laisse la scène vide, se défait complètement de ses machines autonomes pour s’approcher au plus près du public, ironise sur les surprises d’un tel évènement ou s’enfonce dans une incarnation troublante. Yolande rend hommage aux modestes héros de l’enfance, non-hiérarchisés, aux amis réels et inventés, joue sur les maux et les misères d’une existence légèrement à la marge, et glisse sous la poésie les écorchures sociales du quotidien. L’album oscille entre tristesses et promesses, une main dans celle du passé, une main dans celle du futur, courant joyeusement vers l’être aimé, tentant pendant la traversée de se panser soi-même. Le chant de Baptiste est un baume dont il faut profiter pleinement en concert, là où la chair domine, et où la musique se dés-organise pour mieux se libérer.

–07.10.19–
« Au point de vue géographique, il y avait toujours cette frange de barbarie autour de ce qu’on a bien voulu appeler l’Empire de Rome, et dans l’Empire de Rome, il faut mettre la Grèce qui a inventé, historiquement, l’idée de la barbarie. Et à ce point de vue, nous sommes, nous, gens d’Occident, les dignes fils de cette mère stupide, puisque pour nous, les civilisés c’est nous-mêmes, et que tout le reste, qui donne la mesure de notre universelle ignorance, s’identifie avec la barbarie. Pourtant, ce qu’il faut dire, c’est que toutes les idées qui ont permis aux mondes Romain et Grec de ne pas mourir tout de suite, de ne pas sombrer dans une aveugle bestialité, sont justement venues de cette frange barbare ; et l’Orient, loin d’apporter ses maladies et son malaise, a permis de garder le contact avec la Tradition. » Antonin Artaud

Ce que le théâtre peut, ce que la parole peut au théâtre, pour changer la vie, c’est aussi ce que la vie peut pour changer le théâtre. Alors que Sarah Baraka nous lisait, sur une musique de Pierre-Antoine Naline, dans le cadre du Festival Microscopies, un texte intitulé « Le Noyau », au milieu de nous, debout, ne tournant que pour englober le cercle ou mimer la ronde, l’alarme incendie retentit. Et les consignes d’évacuation. À tous ceux qui cherchent à faire entrer le réel sur un plateau, le son strident répondait sans doute possible. Soudain, ce n’était plus la réalité du texte, la fiction offerte depuis quelques minutes qui nous empoignait, mais l’inquiétude, l’incertitude. Y avait-il un incendie ? Vraiment ? Oui certainement, il devait y en avoir un. Quelque part. Pas ici. Ici nous avions fait le choix collectif de nous taire et d’écouter un texte encore jamais entendu, le texte de Sarah. Cette irruption de la vie dans la performance, à l’image de ce que Sarah cherchait à faire surgir dans ses mots, et dans la pièce où elle se tenait debout, venait de se produire, par pur hasard, par pure coïncidence des quêtes. Et il n’y a que les mots qui puissent rassembler avec autant de fulgurances le théâtre et la vie, dans le même cri d’alarme qu’ils lancent à ceux qui se seraient endormis.

–03.10.19–
« Parfois le théâtre fait songer à un garde malade, il nous parle comme si nous étions des idiots ou des enfants — et cela n’autoriserait rien : on ne parle pas comme cela à des idiots ou à des enfants. Il serait peut-être préférable qu’il nous parle comme à des « fous ». Olivier Neveux

–24.09.19–
Emma Gonzalez. Greta Thunberg. L’une, survivante de la fusillade de Parkland du 14 février 2018. L’autre, gréviste de son école depuis le 20 août 2018. L’une a 19 ans, l’autre a 16 ans. Pour lutter contre l’épuisement du langage face aux catastrophes, l’une choisit de se taire pendant quatre minutes en plein milieu de son discours le 24 mars 2018 face à la manifestation rassemblée. L’autre déclame des discours les larmes aux yeux devant les dirigeants de la planète. Silence ou émotion exacerbée, dernière rhétorique possible face aux impuissances performatives du langage.

–20.09.19–
Est-il possible de faire du théâtre en mettant cent amateurs sur un plateau autrement qu’en les utilisant comme simples figurants ou leur faisant parler de leur vie personnelle ?

–19.09.19–
« Autrefois le couple était béni, aujourd’hui il est maudit… Autrefois « l’espèce » devait lutter pour survivre et, par conséquent, le nombre des naissances devait dépasser celui des décès. Aujourd’hui, par contre, « l’espèce », si elle veut survivre, doit s’arranger pour que le nombre des naissances ne dépasse pas celui des décès. Et donc, chaque enfant qui naissait autrefois, représentant une garantie de vie, était béni, tandis que chaque enfant qui naît aujourd’hui, contribuant à l’autodestruction de l’humanité, est maudit. » Pier Paolo Pasolini

–15.09.19–
« Nous ne sortons pas d’ordinaire de l’animalité, nous sommes nous-mêmes ces animaux qui semblent souffrir sans raison. Mais il est des moments où nous concevons cela : alors, les nuages se déchirent, et nous voyons comment nous-mêmes avec la nature tout entière nous nous empressons vers l’homme, comme vers quelque chose d’élevé au-dessus de nous. Frissonnant dans cette clarté soudaine, nous jetons nos regards alentour et en arrière : là s’agitent les bêtes de proies dégrossies et nous sommes au milieu d’elles. La monstrueuse mobilité des hommes sur le grand désert terrestre, les villes et les États qu’ils fondent, leurs guerres, leur activité sans répit d’accumulation et de dépense, leur cohue, leur façon d’apprendre les uns des autres, de se tromper et se piétiner mutuellement, leurs cris dans la détresse, leurs clameurs de victoire — tout cela est le prolongement de l’animalité. » Friedrich Nietzsche

–14.09.19–
Assistant à une sortie de résidence d’un travail que l’on verra bientôt dans la région lilloise (et dont il sera alors temps de parler plus amplement), une question tout de même émerge, qui surgit de plus en plus souvent ces derniers mois : est-ce que la plus grande liberté que l’on puisse offrir au spectateur, ce n’est pas, pour l’interprète, de s’offrir complètement en pâture ? La représentation comme nourriture.

–13.09.19–
Seuls cinq pays dans le monde n’ont jamais été sous domination européenne : le Libéria, la Thaïlande, le Japon, la Corée du Nord et la Corée du Sud.

–03.09.19–
Exhortation du dire — ce que l’on appelle le discours. Comment ne pas tomber dans le piège ? Que les mots ne soient pas comme un racloir qui vide l’intérieur du corps et jette sur la place publique l’articulation, la logique, la rhétorique purement grammaticale. Dire, dire, dire, à tout prix se prononcer. Dénoncer — inverse d’énoncer. Ce qui me creuse le plus, ce n’est pas de sortir les mots, mais de les rentrer.

–29.08.19–
Lorsque l’on rencontre une oeuvre d’art, il faudrait résister à la tentation de penser que nous sommes plus bêtes que l’artiste ou que l’artiste est plus bête que nous — trouver un terrain d’entente.

« It’s about discipline and focus ; it’s about what not to say in order to say more. What not to show in order to show everything. » Maria Loboda

–26.08.19–
« On m’a souvent demandé ce que signifiait la Zone, ce qu’elle symbolisait, et on m’avançait les suppositions les plus invraisemblables. Je deviens fou de rage et de désespoir quand j’entends ce genre de questions. La Zone ne symbolise rien, pas plus d’ailleurs que quoi que ce soit dans mes films. La Zone, c’est la Zone. La Zone, c’est la vie. Et celui qui passe à travers se brise ou tient bon. Tout dépend du sentiment qu’il a de sa propre dignité, et de sa capacité à discerner l’essentiel de ce qui ne l’est pas. » Andreï Tarkovski, Le Temps scellé

« Au moment même où il digère l’objet, l’artiste est digéré par la société qui a déjà trouvé pour lui un titre et une occupation bureaucratiques : il sera l’ingénieur des loisirs du futur, activité qui n’affecte en rien l’équilibre des structures sociales. » Lygia Clark