texte : Simon Capelle
traduction en italien et photographies : Martina Pozzan
conception et mise en scène : Daniela Piemontesi / Collectif Les Mobil’Hommes
avec : Estelle Granet et Mélodie Lasselin
NOTE D’INTENTION de Daniela Piemontesi
Rovina (ruine en italien)
L’épuisement – La noyade – La fuite – L’errance – Le passage – Sans titre – Le deuil – Mon pays – Le royaume – La jungle –
Dix poèmes renversants, qui m’ont mis face à mon impuissance, à mon manque de lucidité et ma mémoire défaillante si apte à effacer tout ce qui ne me convient pas.
Comment, en tant qu’être humain puis-je assister à l’horreur et ne rien tenter, ne rien espérer d’autre que la défaite, et cette trahison qui est faite en mon nom. Dans une course folle où sauver sa peau ne trouve pour issue de secours que les insultes, la haine, la Jungle.
Qu’est ce qui sera laissé derrière soi et jamais retrouvé.
Sommes-nous destinés à nous échouer sur le seul rivage de la honte et de l’indifférence.
Dans cette adaptation j’ai voulu insuffler un rythme sans rupture où chaque poème peut se répandre et contaminer le suivant, en accentuant la symétrie du texte, de ce miroir qui nous fait basculer d’un Être à l’Autre, de celui qui observe à celui qui fuit, où est la frontière, je n’en ai aucune idée, je me suis seulement cognée aux limites de ma propre histoire, de ma famille migrant vers une nouvelle terre un avenir meilleur, comme l’écho de mes géographies secrètes et enfouies.
Rovina, prend vie à travers le corps et la voix de deux femmes, et d’un choeur de femmes dansant, les corps s’unissent en une seule voix, un seul corps, un seul Être, l’Être humain.
Trouver dans ces poèmes le reflet de ma traversée, de l’aveuglement du silence à l’explosion solaire des corps qui se souviennent.
Y mêler une série de gestes dansés et de déplacements spiraliques avec la Tammurriata, danse du sud de l’Italie, danse de Terre qui se pratique dans le cercle, où les pieds viennent caresser la terre , les bras embrasser le ciel et les yeux remplir nos âmes.
Dans Rovina, ce cercle sera la pulsation, le monde et le chemin que je parcours. La danse, rituel de passage qui me porte d’un pays à l’autre, rituel offrande en hommage à mon pays d’enfance, à l’histoire de ma famille, à toutes celles qui ont précédées ma naissance, à tous ces Êtres humains qui aujourd’hui sont abandonnés sur le chemin de l’exil.
L’homme qui se défait de tout, que laisse-t-il derrière lui ?
Un amas de ruines ou une ancre solide qui le ramènera un jour, peut-être à sa terre.
Tammurriata / Frénésie collective
La Tammurriata est une Tarentelle de la région de Naples, son nom vient de l’instrument la tammorra, grand tambour sur cadre chargé de cymbales.
La tarentelle prend ses racines dans le culte grec de Dionysos, dieu de la vigne et de la démesure, lié à la fécondité, à la terre et à la mort, enraciné dans les campagnes du sud de l’Italie colonisée par la Grande Grèce avant l’époque romaine. La tarentelle est une danse et un chant provoqués, dans l’imaginaire collectif, par la piqûre d’une araignée suscitant des transes. Les femmes possédées sont prises en charge par le village au cours de cérémonies où elles réintègrent le groupe grâce au chant.
«La tarantolata ne danse pas seule ».
Le rituel est pratiqué dans toutes les provinces de l’ancien royaume de Naples où il donne lieu à de grandes fêtes populaires, ambulantes ou stationnaires où tout le monde participe, possédés ou pas. Accompagnant la libération de la ou des Tarantolatas dans un cadre collectif déterminé par la musique, qui permet le dérèglement de tous et de tous les sens.
Le rituel appartient à une autre forme d’expression du monde qui, à travers la possession, met en jeu des énergies, des puissances magiques et invisibles qui abolissent dans le mouvement le continuum du temps et de l’espace, liant le sexe à la mort, éros et thanatos, dans une fusion dualiste de forces ambivalentes, tel le venin, à la fois poison et remède. Le cadre rituel structure le langage de la possession et permet à tous de reconnaître l’esprit de la Taranta, d’interagir et de communiquer avec elle.
Si les rites antiques sont la matrice de notre société contemporaine et si la morsure de l’araignée est le symbole des forces souterraines qui sont en nous, expression de notre profond malaise, alors peut être qu’à travers la danse et la musique nous pouvons donner corps à nos forces naufragées et les transformer en terres riches et accueillantes. Parce que danser les dangers de nos âmes, collectivement nous aidera, sans doute, à retrouver le lien humain.